Le Télémaque n°22 (2002/2)
Sur un bruit de fond accordant aux médias une position impériale dans la vie culturelle, politique et sociale, du point de vue de l’institution scolaire, deux points de vue s’entrecroisent : éducation aux médias et éducation par les médias. Le dossier rappelle les orientations ministérielles dans ce domaine, mais veut surtout analyser en quoi consistent et quelle est la portée (l’efficacité) des nouvelles technologies, s’interroge sur la notion même de « nouveauté », et, sans ignorer les cédéroms et les merveilles informatiques, s’arrête peut-être davantage sur la place occupée par la télévision dans cette déjà longue histoire.
Ouverture : Respirations de la cyberculture, par Jean-Louis Weissberg (Université de Paris XIII)
Chronique morale, par Alain Vergnioux (Université de Caen)
L’expression (la production) musicale et sa diffusion se partagent entre deux figures complémentaires, la walkman music et la world music. D’un côté la fragmentation cellulaire, de l’autre l’uniformité planétaire. L’auteur rappelle une troisième possibilité, celle de la free music, dont un petit groupe de jazzmen des années 60 et 70 portèrent la puissance à son plus haut degré d’incandescence.
Notion : La preuve, par Marie-Clotilde Pirot (Université Rennes II)
Fournir, accepter une preuve, réfuter, rejeter ce qui a fait preuve…, les usages de la notion montrent dans leur variabilité les difficultés qu’elle renferme. S’appuyant sur les domaines juridique et ethnologique, où la question de l’administration de la preuve révèle toute sa labilité, l’auteur mène un examen épistémologique multiple et nuancé de l’idée de preuve. Sur son chemin, elle rencontre les notions de témoignage, de démonstration, de science, de certitude.
Dossier : Education et médias
Présentation, par Dominique Ottavi (Université Paris VIII)
Langage télévisuel et symbolique, par Dany-Robert Dufour
La société néo-libérale ne modifie pas seulement comportements et représentations, elle engendre également une nouvelle subjectivité. Dany-Robert Dufour accorde dans ce processus une place importante à la télévision et à l’école. Le rapport multimillénaire de l’homme au signifiant, à la fable, à l’image, s’en trouve bouleversé. Le développement des moyens de communication et des prothèses sensorielles représente un danger inégal : alors que les enfants dont la structuration symbolique a été assurée peuvent y faire face, d’autres y trouvent un facteur supplémentaire de désorganisation de la pensée et de la personnalité. La crise de l’autorité à l’école révèle un mal plus profond, et l’incapacité de certains jeunes à accéder au sens par la médiation de l’enseignement engendre une flambée de violence dans les pays développés, tandis que le recyclage des idéaux libertaires des années soixante dissimule ce malaise dans l’éducation.
Images d’actualité et éducation aux médias, par Serge Tisseron (Université Paris X)
Serge Tisseron, réagit dans cet article à l’attentat du 11 septembre 2001 et tente d’estimer l’impact de sa diffusion par les média auprès des jeunes. A la lumière des théories présentées dans son dernier ouvrage, Enfants sois influence, les écrans rendent-ils les jeunes violents ? , il analyse la confusion mentale et affective résultant de ce spectacle incroyable et pourtant réel. L’absence d’accompagnement par la télévision en termes d’informations précises sur la ville de New-York et sur le contenu précis des images n’a pas facilité leur assimilation par les enfants, d’où la nécessité à la fois d’une grande tolérance vis-à-vis de leurs réactions, et d’un accompagnement vigilant de celles-ci par les adultes
Sociologie de la connaissance et radio-télévision, par Jean Cazeneuve
Dans ce texte de 1962, Jean Cazeneuve décrit les traits distinctifs de la communication télévisuelle par rapport à l’écriture, les images fixes ou cinématographiques, et la radio, pour caractériser certaines des » particularités propres à la culture qu’elle répand « . Certes, comme l’indiquent les enquêtes menées auprès des publics qu’elle touche et les études sur le contenu des émissions proposées, on peut accorder à la télévision une fonction éducative, auprès des enfants comme auprès du grand public. Néanmoins, J. Cazeneuve souligne son pouvoir de fascination et de saturation sensorielle, sa logique de » vedettisation » des animateurs, propres à » ralentir » l’activité intellectuelle et à favoriser la » régression » vers la pensée primitive.
Les cédéroms : leur à-propos pédagogique, par Sébastien Pezous (Editions Bayard)
Les cédéroms ludo-éducatifs sont des produits commerciaux qui cherchent à concilier le jeu et l’apprentissage, et s’adressent aux enfants ainsi qu’aux parents. Sébastien Pezous décrit l’intérêt et les limites de ces jeux : comment les évaluer en termes d’apprentissage ? Il apparaît en outre à un examen attentif que certains cédéroms pèchent par l’imprécision de leur contenu. Concilier l’aspect ludique et le contenu scientifique demande un travail important mais a aussi un enjeu éthique.
Télévision et apprentissages à l’école, par Maguy Chailley (IUFM de Versailles)
L’attrait de la télévision n’a pas diminué chez les jeunes malgré l’apparition de nouveaux média, et l’auteur s’interroge sur la relation de la télévision à l’apprentissage, bien qu’elle soit souvent perçue comme un moisir récréatif par opposition à l’ordinateur, jugé plus » sérieux « . L’apport de la télévision peu être repris dans le cadre scolaire ; cependant, alors que le plus souvent c’est le contenu documentaire des émissions qui décide de leur usage en classe, c’est la réception de la télévision par les élèves dans leur vie quotidienne qui est porteuse des meilleurs apprentissages, pour peu que l’enseignement les renforce en en facilitant la prise de conscience ; ce travail, bien qu’ indirect mais certainement plus fécond. Des exemples de ce type de travail sont données ici.
Les orientations ministérielles en matière de nouvelles technologies, par Hélène Ormières (Direction de la technologie – MEN)
Le Ministère de l’éducation nationale mène une série d’actions en vue d’intégrer les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement, auprès des élèves et des personnels. S’en tenant aux aspects qui concernent l’enseignement scolaire, l’article examine les moyens mis en ouvre pour promouvoir de nouvelles pratiques pédagogiques, réseaux, nouveaux programmes, brevet d’ informatique au collège, bases de données. L’environnement informatique des élèves et des professeurs constitue une notion nouvelle, dont les enjeux dépassent la technique. L’article examine également la production de nouveaux outils pédagogiques, la possibilité pour les personnels de nouer des liens avec les entreprises, évoque les aspects juridiques de l’usage des NTIC et les partenariats avec des établissements d’enseignement ou les grandes institutions publiques. Il fournit en même temps qu’un état de la question un précieux instrument de travail.
Correspondance : La relation entre travail et éducation, par Carlo Pancera (Université de Ferrare)
Le travail est production de la culture et lui donne forme ; il est d’abord action sur la matière et peine. C. Pancera met en doute l’idée que le loisir (scholè) ait été la condition première du travail intellectuel ; la séparation procéderait plutôt entre les tâches « économiques », d’ordre privé, et les préoccupations « publiques » tournées vers la direction de la cité ; d’un côté les savoirs techniques, de l’autre les abstractions. L’éducation a pour but alors la transmission de ces différentes « expériences », qui se diversifient, s’éloignent et produisent le « labyrinthe du monde ». Quand il devient mise à l’épreuve de soi le travail se charge de spiritualité, s’inscrit dans une pédagogie morale et ordonne le « commerce » des hommes. Enfin, dans une société du loisir et de la fragmentation, l’éducation se trouve investie d’une tâche nouvelle : travailler à l’institution d’une culture commune et ouverte.
Correspondance : La première leçon de morale : une interprétation de l’épisode des fèves dans l’Emile de Rousseau, par Maria de Fatima Simoes Francisco (Université de Sao Paulo)
L’épisode des fèves se présente dans l’Emile comme la première leçon de morale tout en portant sur la défense de la propriété privée. Quand on se souvient de sa dénonciation dans le Discours, comment expliquer ce paradoxe ? L’interprétation de l’auteur consiste à montrer que la naissance du sentiment moral exige la prise de conscience de l’autre et que la pertinence de Rousseau est de l’introduire à partir d’une situation de conflit. Sur le plan pédagogique, le passage montre que les apprentissages doivent s’appuyer autant sur l’affectivité que sur la réflexion, et que contrairement à l’opinion reçue d’un Rousseau apôtre de la non-directivité, le précepteur intervient de façon précise dans le déroulement d’une situation judicieusement choisie.